Marc, mois 4, jour 26

6:4. Et Yéshoua leur disait
Un prophète n’est pas sans-honneur * sinon dans sa patrie
et dans sa parenté * et dans sa maison


  6:4. Un prophète : Le premier prophète nommé en Marc, c’est Isaïe (Mc 1:2), c’est aussi le premier de la série des Prophètes dans l'Écriture, et c’est celui qui annonça le dernier prophète, Jean le Baptiste (Mc 1:3-4, 11:32), celui qui annonça “le plus fort que lui” (Mc 1:7). Ainsi Jésus n'est pas “un prophète comme l’un des prophètes” (6:15) : il est dit “plus fort”. Marc le définit comme “Messie Fils de Dieu” (Mc 1:1). Mais pour ses compatriotes habitués de cette antique institution, le Messie Fils de Dieu se définit prophète, ou du moins se place dans leur lignée, et c’est déjà une bien assez grande révélation. Même si en disant cela il garde l’essentiel « sous le capot ». C’est l’idée de ne pas jeter les perles aux cochons (Mt 7:6), mais d’ouvrir leurs esprits tant que faire se peut à partir de ce qu’ils connaissent. C’est un peu le procédé de la comparaison.

N’est pas sans honneur sinon dans sa patrie et dans sa parenté et dans sa maison : Ainsi le prophète est en honneur ailleurs que chez lui. Allusion voilée au rejet d'Israël et à la conversion des nations. Le parallèle en saint Luc nous montre en effet Élie envoyé à la veuve de Sarepta, au sud de Sidon, et Élisée baptisant un général syrien (Lc 4:26-27). En revanche en Israël la liste est longue des prophètes assassinés, « d’Abel le juste à Zacharie fils de Barachie que vous avez tué entre le sanctuaire et l’autel » (Mt 23:35). Le Seigneur résumera cette liste avec la comparaison des sept prophètes maltraités, conclue par le huitième, le Fils tué et jeté hors de la vigne (12:1-8). Mais pour l’heure, sans mentionner la tentative d’assassinat qui a conclu la visite à Nazareth (Lc 4:29), Marc veut conclure la série des trois visites du Seigneur à la synagogue. Il y montre trois niveaux du refus. Le premier est celui de cette synagogue de Nazareth. C’est celui du blasphème pardonnable des siens (Mc 3:28), qui disaient : “Il est hors de lui” (v. 21). Le deuxième est celui du blasphème des scribes contre l’Esprit Saint (v. 22 et 29), mis en œuvre à la deuxième synagogue par les pharisiens qui l’épient pour l’accuser et sortent en vue de le perdre (3:2,6). Le troisième, c’est le rejet démoniaque manifesté à la première synagogue, en toute connaissance de cause : “Qu’y a-t-il entre nous et toi ? Je sais qui tu es” (1:24). Ce dernier niveau, le 3, ne mérite pas de dialogue, mais l’épitimia, la réprimande (“Jésus l’a rabroué”,1:25). Le niveau 2 a mérité une tentative de dialogue, mais n’a rencontré que le silence, ce qui a provoqué le regard de colère et la tristesse. Mais à Nazareth, le niveau 1 du refus vient d'une soumission à la doxa : on préfère se tromper avec tous qu'avoir raison tout seul, et cette faiblesse fait des nazaréens la proie des élites qui les manipulent grâce au pouvoir de persuasion et de pression, dont elles disposent. A ce niveau du refus, le Seigneur dit les choses clairement, mais reste « doux et humble de cœur » (Mt 11:29), « se faisant tout à tous pour en sauver à tout prix quelques uns » (1 Cor 9 :22). Ce que nous verrons demain.

Dans sa patrie et dans sa parenté et dans sa maison : Le Seigneur détaille à dessein l'entourage du “prophète”, du plus large au plus proche, sur le modèle de l'appel d'Abraham (Gn 12:1) : Dieu fait quitter à Abraham sa « génération dévoyée » (Ac 2:40), où l'on peut deviner les trois étages de la tour de Babel, d'où Dieu vient de disperser les hommes (Gn 11). Les triades nous sont maintenant familières. Elles manifestent ici l'encerclement qui tend à étouffer la semence de l'Esprit, tels épines, pierraille et oiseaux. Car le prophète est le poil à gratter, l'empêcheur de tourner en rond dans le triple cercle galiléen de sa patrie (race-racines), de sa parenté (famille “élargie”) et de sa maison (famille “nucléaire”). Pensons qu'à la maison même de Jésus « le père et la mère de l'enfant ne le comprirent pas » (Lc 2:50), qu'en sa parenté « ses frères (= cousins) ne croyaient pas en lui » (Jn 7:5) et qu'en sa patrie « il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas reçu » (Jn 1:11). Car « le désir de la chair ne se soumet pas à la loi de Dieu, il ne le peut même pas » (Rm 8:7). Ainsi Abraham rompt ce cercle étouffant (Gn 12:1), les saints en font autant (Mc 13:14), « l'homme quittera ses père et mère pour s'attacher à sa femme » (Gn 2:24), et le Seigneur lui-même quitte sa mère pour fonder sa nouvelle famille, sur les Douze (Mc 3:13+, Ap 21:14). Lui est la tête, les Douze sont sa parenté, hiérarchie de « princes sur toute la terre » (Ps 44:17) et les disciples sont sa patrie, chrétienté rendue capable de faire la volonté de Dieu (Mc 3:35). Le semeur sème la semence d'un peuple nouveau, fait de personnes libres dans un peuple un. Si l'homme n'entre pas dans cette triple patrie/parenté/maison céleste dans l'Esprit, alors dans sa maison charnelle continuera de régner le diable, dans sa parenté gouverneront les scribouillards tatillons et aliénants au service dudit diable, et sa patrie sera un ramassis de moutons heureux d'être tondus, triade vigoureusement croquée par le prophète (Is 5:13-14). La présente sentence du Seigneur vise une fois de plus à dépasser le cercle d'Israël devenu cercle vicieux et moule désormais trop étroit pour faire lever le Règne de Dieu. Les trois guérisons précédentes, homme, femme et enfant, manifestent cette nouvelle famille « née par la foi, non d'un vouloir de chair, mais de Dieu » (Jn 1:13).