5:1. Et ils sont venus vers l’autre rive de la mer dans le pays des Géraséniens
2. et comme il sortait hors de la barque * est venu aussitôt à-sa-rencontre hors des tombeaux
un homme en souffle impur * 3a. et qui avait-sa-demeure dans les tombeaux
5:1. Et ils sont venus : Le pluriel désigne l’Église, ou, mieux, la préfiguration de l’Église, et la venue désigne l'ouverture au monde païen (Ac 11:20+), qui est le grand paradigme qui bouleversera la Synagogue et la transfigurera en Église. Et Marc le place pile au solstice, qui tombe le 3 : en effet, quand on cale le premier jour du premier mois lunaire sur l’équinoxe de printemps (en pratique ce n’est pas souvent le cas), le solstice d’été ne tombe pas le premier jour du quatrième mois, mais le troisième, car l’année solaire est plus longue que l’année lunaire (354 jours contre 365), donc les trimestres aussi. Le soleil est à son zénith, mais c’est le commencement de sa chute. Isaïe en fait symbole de la chute des nations idolâtres, en débutant au premier jour du quatrième mois les oracles contre les nations, à commencer par Babylone (13:1). De cette « dévastation de Shaddaï » « les hommes sont bouleversés » (13:6, 8). Le tourbillon de vent (Marc 4:37), on l'a remarqué hier, est une relecture du « bruit de foule, d’un vacarme de royaumes et de nations rassemblées » (Is 13:4), et les Apôtres peureux sont « les mains débiles, les hommes qui perdent cœur, bouleversés, pris de convulsions et de douleurs, se tordant comme femme qui accouche » (v. 7-8). Et aujourd’hui, jour du solstice, Isaïe doit en être à « Voici que vient le Jour du Seigneur, implacable », où « le soleil s’est obscurci » (13:9, 10). Mais le livre d'Isaïe se conclura au solstice d’été suivant par une lecture positive, « l’accouchement d’un pays en un Jour » : « Sion va enfanter des fils », « car le Seigneur vient par le feu » pour « rassembler de toute nation et langue », « J’enverrai de leurs survivants vers les nations » (66:15, 19+, cf. Mc 5:19). « De certains d’entre eux je me ferai prêtres et lévites », et « on sortira pour voir les cadavres des hommes révoltés contre moi » (66:7, 8, 15, 18, 19, 21, 24). Toutes choses qu’on va voir s’accomplir quand ils sortiront de la barque (Mc 5:2).
Vers l’autre-rive de la mer : Marc appelle ce bouleversement “l’autre rive”, allusion à l’autre rive de la mer Rouge, rive de la terre promise, de la belle terre de la comparaison du semeur, du royaume des cieux. En ce solstice les jours de cette création commencent à baisser, voici se lever sur les rives païennes un autre soleil, le Seigneur de la nouvelle création (Ap 22:5). « Pour vous qui craignez mon Nom, le soleil de justice se lèvera, avec la guérison dans ses rayons » (Mal 3:20). Isaïe, lui, faisait réciter hier « Proche est le jour du Seigneur », aujourd’hui, c’est « Il vient le Jour du Seigneur », et, demain, « Je ferai frémir les cieux le Jour où s’allumera sa colère » (le soleil à son zénith commence à redescendre, image de la chute de Babylone).
Dans le pays des Géraséniens : S’il subsiste aujourd’hui l’église des Géraséniens, souvenir de la rencontre du premier païen, l'actuelle ville de Djérash est à 50 km de la rive. Le “pays” (chora) des Géraséniens pouvait bien embrasser cette superficie. Toutefois, on ne sait rien d'autre de cette Gérasa, à laquelle Matthieu a préféré Gadara, au sud-est du lac. Cela donne l’image de l’inconnu, de l’étranger : « Un peuple que je ne connaissais pas m’est asservi » (Ps 17:45), comme ces gabaonites intégrés au peuple au temps de… Josué (Jos 9).
2. Et comme ils sortaient hors de la barque : Sortie qui annonce « la dispersion lors de la tribulation survenue à l’occasion d’Étienne », où certains s’adressèrent aux Grecs, avec à Antioche le succès que l’on sait (Ac 11:19-21).
Est venu aussitôt à sa rencontre : Comme à Antioche, « La main du Seigneur les secondait » (Ac 11:21). Cf. Dt 6:10-11, Jn 4:35. Cette fécondité de la belle terre des païens était en germe dans l’attente millénaire du « désiré de toutes les nations » (Ag 2:7 selon la Vulgate), « espoir des confins de la terre et de ceux qui sont au loin sur la mer » (Ps 64:6).
Un homme en souffle impur : Ce qui ne veut pas dire que c’est du tout cuit. L’homme païen est sous la coupe du souffle impur, « car tous les dieux des nations sont des démons » (Ps 95:5 LXX). Et de même qu’il fallait commencer par exorciser le démon de la synagogue, il faut dans cette deuxième étape commencer par exorciser le démon des nations. Et ce n’est pas un petit diablotin : on verra qu’Isaïe (ch. 14), par une belle relecture du solstice, le décrit comme l’astre du matin (en latin Lucifer) qui a voulu escalader les cieux, mais qui a été précipité au shéol (Is 14:12-15). Il s’agit donc bien du “prince des démons” (Mc 3:22), « l'antique serpent, le Diable ou le Satan, comme on l'appelle » (Ap 12:9).
3a : Et qui avait sa demeure dans les tombeaux : L'homme est tombé dans la mort à l'image de son mentor « précipité au shéol » (Is 14:15, cf. Ap 20:10). Comme Lucifer, plus il veut s’exalter sans Dieu, plus il creuse sa tombe et s’abîme en elle, entraînant dans sa chute toute la création. Mais précisément ici débute son relèvement.
Ce qu'il faut savoir, c'est que cet homme en souffle impur initie par son exorcisme la deuxième partie des guérisons : après le groupe des cinq premières il en reste huit, 7+1, qui sont celles du disciple qui gravit la montagne sainte Il va les gravir en trois degrés qui sont les trois rendements fertiles de la belle terre et qui ont été décrits dans les trois dernières paraboles de l’étape II. Redisons simplement le premier degré : il a été décrit comme l’investissement initial où il faut donner toute sa mesure (Mc 4:24) comme jardinier pour déraciner les épines, qui sont “souci du monde présent, tromperie de la richesse et désir pour tout le reste” (4:18-19). Ce premier degré, simplement décrit dans les paraboles, va être mis en pratique de manière plus approfondie dans cette deuxième étape de Marc en trois guérisons qui correspondent à ces trois passions (il le sera encore plus profondément au long de l’étape IV, 8:27-10:52). L'homme en souffle impur, lui, va être guéri de ce que la parabole appelle le souci du monde présent : il a voulu dominer le monde, ce qui est légitime en soi (Gn 1:26), mais, trompé par Satan, il n'a eu que le souci que du monde présent, et il n'en a fait qu'un tombeau où Dieu est mort en l’Homme mort. Privé du monde à venir, séduit par le fruit, “il a sa demeure dans les tombeaux”, et c'est cet homme déchu sous la coupe du serpent déchu que le Sauveur trouve chez les païens.