I. Récitatif
(trad. J. Porthault, mus. F. Gineste)
II. Texte
Lc 19:1. Et étant entré * il traversait Jéricho
2. et voici un homme * appelé du nom de Zachée
et qui était chef de collecteurs * et qui était riche
3. Et il cherchait à voir Yéshoua * qui est-il
et il ne le pouvait pas * à cause de la foule
car il était petit de taille
4. Et ayant couru-devant * vers l’avant
il est monté sur un sycomore * pour le voir
car c’était par là * qu’il allait traverser
5. Et lorsqu’il est venu en ce lieu * ayant levé le regard
Yéshoua lui a dit * Zachée
hâte-toi * descends
car aujourd’hui
dans ta maison * il me faut demeurer
6. Et s’étant hâté * il est descendu
et l’a reçu avec joie
7. Et ayant vu
tous murmuraient entre eux * en disant
Chez un homme pécheur * il est entré faire étape
8. Or debout Zachée * a dit au Seigneur
Voici
la moitié de ce qui m’appartient * Seigneur aux pauvres je la donne
et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un * je rends le quadruple
9. Or Yéshoua a dit de lui
Aujourd’hui le salut est advenu * pour cette maison
parce que lui aussi * est un fils d’Abraham
10. Car le Fils de l’homme est venu
chercher * et sauver
ce qui était perdu.
III. Lecture
Lc 19:1. Et étant entré : On peut ici voir « le Christ, entrant dans le monde » (Hé 10:5). Chaque péricope étant une facette du mystère du Christ, de l’Incarnation à la Rédemption, la mention de l’entrée correspond à l’Incarnation. Le mystère du Christ, exposé au long de l’Évangile selon Luc, est résumé par la montée vers Jérusalem (Lc 9:51+), plus succinctement encore par l’histoire de Zachée (qui en est la conclusion) et finalement par son dernier verset : « Le Fils de l’homme est venu (Incarnation) chercher (Passion) et sauver (Rédemption) ce qui était perdu. »
Il traversait : Toute traversée fait référence à celle de la mer Rouge, et celle-ci nous promet donc le passage d’une situation d’oppression à une libération à travers une descente pascale du Christ dans une situation de mort et de désespérance débouchant sur une nouvelle naissance.
Jéricho : Le scénario se précise. Jéricho est en effet riche d’histoire et l’unique passage du Christ en cette ville a pour fonction de synthétiser toute cette histoire sainte autour de lui.
Jéricho dans l’Ancien Testament : Jésus, qui accomplit l’Écriture, va donc récapituler toute l’œuvre de Dieu concernant Jéricho, depuis avant sa prise par Josué jusqu’après son relèvement par Hiel de Béthel. Quel est ce scénario ? Jéricho ouvre (ou plutôt ferme) l’accès à la terre promise. Avant d’y entrer, Israël se rappelle les commandements donnés au peuple saint et promet de ne pas se compromettre avec les coutumes de l’habitant, et donc de tout détruire. C’est là que le temps de Moïse s’achève : à l’image des hébreux qui n’ont pas cru (Nb 20:12), il meurt non loin de Jéricho : c’est Josué, dont Jésus reprendra le nom, qui est chargé par Dieu de faire entrer le peuple. Ayant traversé le Jourdain face à Jéricho, il prendra la ville, grâce à Rahab la prostituée qui par sa foi accueillera les envoyés. En échange elle sera admise dans le peuple saint. Jéricho, détruite, ne pourra être refondée qu’au prix du sacrifice du premier-né, ce qui sera fait par Hiel de Béthel (1 R 16:34). Et c’est au même endroit du Jourdain vis-à-vis de Jéricho qu’aura lieu l’ascension d’Élie et le don de l’Esprit à Élisée. On peut donc y lire l’image de la civilisation ennemie de Dieu, que les saints doivent investir sans se compromettre. Ses habitants peuvent être sauvés, mais moyennant la foi, et la ville elle-même peut être rebâtie, mais sur le sacrifice du Fils, et c’est ainsi que le lieu le plus bas du globe est appelé à devenir le lieu de l’Ascension au-delà de la mort, et du don de l’Esprit. Il y a plus :
Jéricho dans la géographie : Il faut en effet prendre en compte la situation géographique de la ville : 8 km à l’ouest du Jourdain et 12 au nord de la mer Morte, Jéricho, « ville de palmiers » (Dt 34:3), serait le lieu le plus bas du globe, image de la bassesse, donc de la cité de perdition. Jéricho précède la montée (très raide) vers Sion, route traditionnelle des pèlerins, image de la montée spirituelle, et vers Jérusalem, image de la cité sainte. Ce qui augure de l’étape suivante du Seigneur, à savoir sa semaine à Jérusalem, avec ses controverses dans le temple, opposant les deux cités, la Jérusalem terrestre et celle d’en haut, leurs deux temples et leurs deux cultes. Combat féroce, conflixere mirando, conclu par l’apparente victoire du prince de l’un au septième jour et la résurrection glorieuse du prince de l’autre, au premier jour d’une nouvelle ère…
Jéricho dans saint Luc : La première mention de Jéricho en Luc file la métaphore géographique pour évoquer la chute (« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho et tomba au milieu des brigands »). La Loi, figurée par le prêtre et le lévite, ne peut que constater sans remédier (10:30-32). On peut encore obtenir d’autres renseignements si l’on se reporte à la première étape de la route du Seigneur vers Jérusalem (Lc 9:51-56) : un village de samaritains ne reçoit pas le Christ « parce qu’il faisait route vers Jérusalem ». Il y a donc bien opposition de deux cités. Selon l’ancienne économie, représentée par Jacques et Jean, ils mériteraient le feu du ciel, comme Sodome (toute proche de Jéricho), mais aussi comme au Sinaï : ceux qui au Sinaï ne respectaient pas la séparation demandée par Dieu encouraient le même feu du ciel que Sodome (Gn 19, Ex 19). Or le Seigneur se retourne contre les fils du Tonnerre pour les réprimander, exprimant l’avènement d’une ère de miséricorde après celle de la justice : désormais, dans le Christ, un âge de douceur et de grâce est accordé aux pécheurs pour permettre leur conversion et leur montée vers Jérusalem. Comme dira Paul aux Athéniens, « Fermant les yeux sur les temps de l’ignorance, Dieu fait maintenant savoir aux hommes d’avoir tous et partout à se repentir ». Attention, il y aura quand même un jugement (id. 31) ! (Ac 17:30)
Jésus fait route avec eux en pèlerin, allant à Jérusalem chercher le pardon de leurs péchés, et, comme pour la maison de Lot à Sodome, comme pour celle de Rahab à Jéricho, il leur ouvre une route de salut, faite de renoncements et de croix (v. 57-61). Son « exode » (mot employé en 9:31) figure celui de ses disciples, nouveau peuple de Dieu. Sa traversée de Jéricho résume la traversée de la mer, du désert et du Jourdain. Et Zachée résume celle de l’Eglise.
2. Et voici un homme : Comme pour Rahab face aux envoyés, la nouvelle prise de Jéricho doit se jouer, pour commencer, dans le cœur de son citoyen, qui est l’homme déchu que nous sommes. En Luc, la lutte est déjà entamée dans l’épisode précédent, avec Bartimée : le Christ commence par délivrer le pauvre opprimé (Bartimée) avant de s’attaquer au riche oppresseur (Zachée). C’est par un acte personnel que l’homme déchu peut échapper à la ruine de Jéricho et habiter Jérusalem.
Appelé : Il s’agit pour l’homme de réaliser sa vocation (son appel). « Où es-tu ? », appelait Dieu. Il est à Jéricho, dans l’enfer d’un monde sans Dieu. Et il ne sait plus qui il est. Il se cache apeuré.
du nom de Zachée : Le nom en araméen (Zaccaï) veut dire « Juste ». Il s’agit donc ici de justifier l’homme pécheur, de le rendre juste, c’est-à-dire ajusté à son Créateur.
Et qui était chef de collecteurs et qui était riche : La réputation des collecteurs (ou publicains) n’est plus à faire : travaillant à collecter l’argent des taxes pour l’occupant, et assez libre d’en détourner pour eux-mêmes une partie, ce que prouve la mention « et qui était riche ». Le terme « collecteur » était synonyme de pécheur public, et d’ailleurs souvent accouplé à « pécheurs ». Combien plus donc un « chef de collecteurs » encourait-il l’opprobre. Un peu comme un grand banquier d’aujourd’hui. On peut imaginer d’ailleurs l’inconfort intérieur de cet homme, malgré ses richesses. Il devait être méprisé de tous bords : par l’occupant, par ses concitoyens, par ses subordonnés… et par lui-même.
3. Et il cherchait à voir Yéshoua, qui est-il : Comment se pose le problème de la vision de Dieu pour la chair pécheresse ? Privé de cet honneur depuis la chute, le fils d’Adam peut tout au plus espérer la vision qu’eut Moïse : purifié par sa triple montée mystique, celui-ci obtint la vision « de dos », car « Nul ne peut me voir et vivre » (Ex 33:20-23). C’est la vision que Jésus offre à ses premiers disciples : « Venez derrière moi » (Mc 1:17). La perfection n’est pas statique. Vision toujours en progrès, éblouissement toujours renouvelé. La nouveauté en Christ, c’est que, par l’Incarnation, par la foi en Christ, « Qui me voit voit le Père » (Jn 14:9). Mais seuls « les cœurs purs verront Dieu ». Comment Zachée peut-il ouvrir les yeux de la foi, alors qu’il est si fort retenu par les liens de la chair ? Il lui faut devenir semblable au Christ, car « Nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3:2). Mais, à cause de sa nature de créature, il le deviendra par étapes. La première étape possible n’est que celle du désir : « Il cherchait à voir Yéshoua ». Et non seulement voir, mais « qui est-il ? » Il veut avoir le regard de Dieu lui-même, qui « ne regarde pas l’apparence mais le cœur ». Imago non deleta. Non détruite, mais abîmée. Même du fond du péché où l’on est enfermé, on peut désirer une vision restaurée, où l’œil doit devenir pur : « La lampe de ton corps, c’est l’œil ; si donc ton œil est sain, ton corps tout entier sera lumineux » (Mt 6:22). Dans son désir de voir Jésus se profile celui de la restauration de l’image et de la ressemblance divines dans la lumière du jour un (Gn 1:3-5), image de l’éternité.
Et il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était petit de taille : J’ai décrit Zachée « méprisé de tous bords », j’aurais pu dire « rabaissé par la foule ». Petit au regard des autres. Dans la cité sans Dieu, Jéricho ou Babel (ce peut être aussi Jérusalem), l’homme est réduit à être le rouage d’une machine qui le dépasse et l’opprime. D’un côté il tire son épingle du jeu par ses profits personnels, sur le dos des autres (par exemple le portable qui est censé simplifier la communication, mais qui pollue la nature et alimente l’esclavage de ceux qui contribuent à sa fabrication), de l’autre il souffre de solitude et de manque de reconnaissance. Il a ouï dire un autre horizon, mais la vision lui en est impossible tant qu’il se limite à celle de sa tribu, qui ramène tout à elle (aujourd’hui, prenez par exemple la vision de Jésus par les média…). Il est prisonnier du consensus, qui lui impose l’image qu’il doit donner. Il veut paraître grand, on le voit petit. Ainsi tant que la foule reste son horizon culturel, il ne regarde que lui-même et ne peut voir Jésus « à cause de la foule », trop petit face à ce troupeau qui limite sa vision et l’emmène malgré lui vers la perdition où il ne voudrait pas aller. Mais ce frein à son désir va renforcer son désir et l’amener à la deuxième étape de sa vision…
4. Et ayant couru-devant : Il peut être intéressant de remarquer que dans « couru-devant » (prodramôn) on retrouve Prodromos, en français le Précurseur. Selon le plan divin, la nouvelle économie, celle de la miséricorde, se révèle en effet à ceux qui ont couru au devant d’elle par le baptême de Jean. Pour ce baptême de rémission des péchés, les gens quittaient les villes et allaient au désert, se désolidarisant donc de la foule comme le fait Zachée. Le désir tend donc à se concrétiser par une action par laquelle on se démarque de notre état, notre « cité », de départ.
vers l’avant : Zachée précède la foule. Il n’attend pas d’avoir des nouvelles de Jésus par le journal ou le téléphone arabe, il veut voir par lui-même, avant les autres. Voilà une démarche qui sans nul doute plaît au Seigneur, comme ceux qui à l’écart l’interrogeaient sur les paraboles : « A vous a été donné le mystère du royaume de Dieu, leur dit-il, mais à ceux-là qui sont dehors tout advient en comparaisons, afin qu’en regardant ils regardent mais ne voient pas ». On peut donc y voir cette tension du désir vers l’avant, toujours en progrès, cette épectase, selon le mot de Grégoire de Nysse, citant Phil 3:13-14. Si tu désires, marche. Ou même plutôt : cours ! Et ce faisant, sépare-toi : tu ne gagneras la liberté d’assouvir ton désir qu’au prix d’une certaine solitude.
il est monté sur un sycomore pour le voir : Troisième étape. C’est ici que les jérichois, comme les athéniens, s’atteignirent. Quelle est cette montée ? J’y vois la conséquence de cette démarcation par rapport à la foule : il a désiré, il a couru, et maintenant il jouit tout à son aise… mais à ses risques et périls ! On a obtenu ce qu’on voulait, mais de là il ne peut fuir plus haut… Et tel qui voit peut être vu. Donc jugé… Donc un autre cycle commence, où il faut être prêt à affronter le regard des autres, l’exclusion, comme on le verra dans quelques instants : « Ayant vu, tous murmuraient entre eux »… La mention du sycomore vient apporter quelque précision. L’Ecriture mentionne cet arbre comme très commun dans le Bas-Pays (2 Chr 1:15). Amos ajoute : « Je n’étais ni prophète ni fils de prophète, mais bouvier et pinceur de sycomores » (Amos 7:14). Le sycomore est lié aux hommes du commun, donc. On l’oppose à la grandeur et à la majesté du cèdre, comme l’argent et l’or par rapport aux pierres (1R 10:27, 2 Chr 1:15), ou comme les pierres de taille par rapport aux briques (Is 9:9)… Bref, il est toujours associé au commun, à la bassesse, à la petitesse, à l’humilité. Telle serait donc l’échelle paradoxale que gravit Zachée, défini comme chef et comme riche : une montée qui le fait descendre… de son piédestal. On retrouve d’ailleurs ici un enseignement de Luc, celui sur les places du repas, où à celui qui monte il est demandé de descendre, quitte à rougir devant tout le monde, alors qu’à celui qui descend il est dit : « Mon ami, monte plus haut » (Lc 14, 7:11). Cf. aussi l’échelle de l’humilité dans la règle de saint Benoît (RB 7).
car c’était par là qu’il allait traverser : C’était par là, veut sans doute dire Luc, la même échelle qu’allait gravir le Seigneur, « lui qui en forme de Dieu subsistant, point comme proie n’a regardé l’état d’égal de Dieu, mais lui-même s’est vidé, devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort même de la croix, et c’est pourquoi Dieu l’a surexalté » (Ph 2:6-9). Jean voit de même dans la croix l’exaltation. La « bassesse » du sycomore fait de cet arbre une image du bois sur lequel Notre-Seigneur fut pendu (cf. Ac 10:39). Zachée commence son imitatio Christi, il restaure son imago Dei.
5. Et lorsqu’il est venu : Il est venu, dira Jésus, « chercher et sauver ».
sur le lieu : La formule « le lieu » (héb. maqom) désigne le sanctuaire, « le lieu que le Seigneur votre Dieu choisira pour y placer son Nom » (Dt 12:5), qui correspond, dans la nouvelle alliance, au tombeau : « le lieu où on l’avait déposé » (Mc 16:6), le « lieu un » où gisent les linges (Jn 20:5). Le lieu de la résurrection. Le saint des Saints par excellence.
Ayant levé le regard, Yéshoua lui a dit : : Nous arrivons au croisement des regards, au cœur du récit, donc, où Zachée s’expose nu au regard de Dieu, contrairement à Adam « caché au sein de l’arbre ». Il pensait voir Jésus, mais c’est lui qui est vu, comme Nathanaël sous le figuier. Il pensait peut-être passer inaperçu, mais, horreur, toute la foule qui suit Jésus lève les yeux vers lui, l’objet de la haine de ses concitoyens ! Le voici comme le parachutiste pendu au clocher de Sainte-Mère-Eglise le 6 juin 1944, sous le nez des mitrailleuses allemandes. Gageons qu’il a dû vivre là un grand moment de solitude… Mais le croisement de leurs regards a tout changé. Et le regard d’un seul qui vous aime fait oublier tous les autres. La synergie divino-humaine commence d’opérer… Peut-être se rappelle-t-il ce verset : « La vérité de la terre s’est levée, et la justice (sens du mot Zachée) du haut du ciel a regardé » (ps 84:12). La question que Zachée se posait a dû redoubler : « Qui est-il », cet homme qui lève les yeux vers moi ?
Zachée : Ô surprise ! Ce Jésus me connaît par mon nom ! Et il m’appelle « le juste », moi, le pécheur ! Lui tout en bas, et moi tout en haut, quelle inversion : c’est lui le juste !
Hâte-toi : (litt. « T’étant hâté ») « Tu courais déjà pour me connaître et j’ai aimé ta course, répond Jésus. Car moi aussi j’ai couru vers toi. Continue donc avec les mots du Cantique : « Entraîne-moi sur tes pas, courons ! Le roi m’a introduite en ses appartements. » (Ct 1:4)
descends : Descends de ton piédestal. Manifeste ton humilité. Tu peux maintenant regarder ton péché à travers l’œil de ma miséricorde, et dire : « Je suis noire, mais je suis belle » (id. 5). De même que ta montée fut une descente, ta descente sera une montée. » Le psaume continue : « Car le Seigneur répandra sa bonté, et notre terre donnera son fruit. » De l’humble sycomore que cultivait le prophète Amos tombe aujourd’hui le fruit mûr de l’Evangile, car la bonté du Seigneur s’est répandue, qui vainc les chaînes du péché. Car le Christ est descendu plus bas que toi et mendie ton hospitalité.
Car aujourd’hui : C’est dans les chapitres 26-30 du Deutéronome qu’on lit abondance de « aujourd“hui »; L'hébreu dit juste yôm (jour). En résumé : « Aujourd’hui que tu es devenu le peuple du Seigneur ton Dieu (27:9), tu entres dans l’alliance (29:12)… si du moins tu observes ses commandements. » Un autre aujourd’hui célèbre est celui du psaume 94, jour du repos promis à ceux qui écoutent la voix divine, et Hé 3-4 lit dans cet aujourd’hui l’entrée dans le repos de Dieu par Jésus le nouveau Josué… à ceux qui ne sont pas tombés au désert. Dans la suite de l’histoire de Zachée on pourra deviner qui est qui.
dans ta maison : La maison de Zachée est la place forte de Jéricho, « enfermée et barricadée : personne n’en sortait et personne n’y entrait » (Jos 6:1), image de l’enfer où croupit Zachée. Mais « si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et souperai avec lui et lui avec moi » (Ap 3:20). Ainsi la maison du pécheur devient le temple du Dieu très-haut, et « Toute marmite en Juda sera consacrée au Seigneur » (Zach 14:21). Aussi Jésus dit-il à Zachée : « Cache-moi dans les javelles de lin sur la terrasse comme Rahab cacha les envoyés de Josué » (cf. Jos 2:6).
il me faut demeurer : Il me faut ? Quelle place peut avoir l’obligation dans « la loi de liberté » (Jc 1:25) ? Jésus est attiré par la maison de Zachée comme par la Passion (cf. Lc 12:50). C’est pour lui « l’ardente obligation ». La croix est pour lui l’arbre de vie dont il compte saisir le fruit en clouant sa main dessus, pour saisir ainsi Adam, et lui dire : « Vois, je t’ai gravé sur la paume de mes mains » (Is 49:16). Pierre qui voulut l’en dissuader se fera sèchement rabrouer (Mc 8:32-33). Car il veut par-dessus tout rejoindre sa brebis perdue dans son enfer ; il se dit à lui-même ce qu’il redira à saint Silouane : « Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas », et il se répète la prière qu’il suggèrera plus tard à saint Dominique : « Mon Dieu, ma miséricorde, que vont devenir les pécheurs ? »
6. Et s’étant hâté : La course de Zachée a déclenché la hâte du Seigneur, qui démultiplie à son tour celle de Zachée : « Il est vrai que le désir me presse aussi, le cœur me brûle, l’amour me saisit et, de sentir le tien, il redouble. Au diable le respect humain ! Le monde s’évanouit devant ta face. »
Il est descendu : « Je n’obéis plus qu’à tes ordres, et non plus aux oukazes du monde, qui me poussait à m’enrichir, pour mieux me mépriser ensuite. Toi tu me pousses à descendre, c’est-à-dire à m’appauvrir, pour m’honorer de ta présence, toi qui t’es fait pauvre pour nous enrichir de ta pauvreté » (2 Cor 8:9).
Zachée, hâte-toi : Ne reste pas plus longtemps sur ta vision, comme les apôtres sur le Thabor, ne laisse pas passer ta chance, ou plutôt la grâce, mais descends vite pour me rencontrer vraiment et avoir la réponse à ta question « Qui est-il ? ».
Les apôtres après leur vision se demandaient « Qu’est-ce que se relever d’entre les morts ? » et m’ont interrogé sur le retour d’Élie. Je leur ai dit que Jean-Baptiste fut le nouvel Élie, précurseur de ma passion.
Et toi, qui courus en avant, qui fis le chemin comme lui préparer la route, tu sauras combien plus bas que toi il me faut aller demeurer.
Certes tu m’as vu, mais ton regard ne voit encore que mon apparence. Tu sauras qui je suis en descendant avec moi qui vais être déconsidéré aux yeux du tout-Jéricho, en attendant de perdre jusqu’à l’apparence humaine (Is 53) sur l’arbre de la croix. Nous partageons désormais le même sort, et ainsi tu me connaîtras comme dira mon Apôtre : « Le connaître, lui et la puissance de sa résurrection » (Phil 3:10). Tu trouveras la réponse à ta question « Qui est-il ? » dans ta triple action :
Et 1° s’étant hâté, 2° il est descendu et 3° l’a reçu avec joie : Tu me rappelleras Abraham préparant le veau gras. Il n’est point écrit « avec faste », mais « avec joie ». Or « plus que des milliers d’agneaux gras » (Dn 3:40), « Dieu aime celui qui donne avec joie » (2 Cor 9:9, ps 111:9). Dans ton écuelle d’argent j’aurais vu l’argent volé à mes pauvres, dans ton gobelet d’or j’aurais vu le vin de tes abominations (Ap 17:4). Mais en donnant la moitié de tes biens aux pauvres tu m’offres un sacrifice d’agréable odeur.
Hâte-toi : Car si tu m’as vu il te reste à apprendre qui je suis. Comme l’aveugle de Bethsaïde tu dois acquérir la vision spirituelle, le regard de la foi, le regard d’aurore (Mc 8:25). Tu dois encore apprendre qui je suis : « je suis qui je suis » (Ex 3:14). Hâte-toi avant que la grâce passe : je suis venu cueillir le fruit de l’arbre. Quand je repasserai il n’aura plus que des feuilles et je devrai le maudire (Mc 11:12-14).
7. Et ayant vu
tous murmuraient entre eux * en disant
Chez un homme pécheur * il est entré faire étape
8. Or debout Zachée * a dit au Seigneur
Voici
la moitié de ce qui m’appartient * Seigneur aux pauvres je la donne
et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un * je rends le quadruple
9. Or Yéshoua a dit de lui
Aujourd’hui le salut est advenu * pour cette maison
parce que lui aussi * est un fils d’Abraham
10. Car le Fils de l’homme est venu
chercher * et sauver
ce qui était perdu.
8. Voici : Il y a deux voici : “Et voici un homme qui était chef de collecteurs” (v. 2), et celui-ci : “Voici la moitié de ce qui m'appartient, aux pauvres je la donne”. Les deux « voici » décrivent les deux économies des deux cités et leurs trois étages.
- Au verset 2, l’occupant illégitime (Rome), étage 3, envoie un taxateur (étage 2) ponctionner les citoyens d’en bas (étage 1), lequel ponctionne aussi pour lui-même, récoltant haine et mépris à tous les étages.
- Au verset 8, le Seigneur légitime (étage 3) demande à être reçu chez un riche (étage 2) qui le reçoit avec joie, donne la moitié de ses biens aux pauvres et rend aux spoliés (étage 1) quatre fois ce qu’il leur avait extorqué.
Autrement dit, la conversion du taxateur signe la ruine de l’économie de la taxe et de la prévarication, la remplaçant par l’économie du don. Par ce coup d’éclat qui renouvelle la destruction de Jéricho, le Seigneur annonce la ruine de Jérusalem (Lc 19:41-44) et la purification de sa maison de prière qui a été transformée en repaire de brigands (Lc 19:46). Ainsi, tout ce qui était perdu est sauvé. Le sycomore, image de l’humilité, devient l’image de la croix portant le fruit de la charité, celle de Celui qui nous enrichit par sa pauvreté.